Il y a à peu près un an et demi, j’ai découvert l’écriture
d’Yasmina Khadra avec quatre de ses romans et en ai gardé l’envie de le
retrouver à nouveau dans d’autres œuvres. Finalement, j’ai laissé deux d’entre
elles dans ma PAL, sans me décider à les en sortir, jusqu’à ce que Philisinne
ne projette la lecture de Ce que le jour doit
à la nuit en janvier et que je me joigne à elle. Vous pouvez lire son avis
sur son (très intéressant) blog Je me livre.
Cette fois encore, j’ai été charmée par l’écriture de cet
auteur et par sa façon particulière de décrire les villes, en les personnifiant :
Oran ne manquait de
rien, ni de charmes ni d’audace. Elle s’éclatait comme autant de feux
d’artifice, faisant d’une boutade une clameur et d’une bonne cuite une liesse.
Généreuse et spontanée, il n’était pas question, pour elle, de se découvrir une
joie sans songer à la partager. Oran avait horreur de ce qui ne l’amusait pas.
[…] Belle, coquette, consciente de la
fascination qu’elle exerçait sur les étrangers, elle s’embourgeoisait en
catimini, sans fard ni fanfare, convaincue qu’aucune bourrasque – pas même la
guerre en train de l’éclabousser – ne saurait freiner son essor. […] Le bonheur était en elle, et tout lui
réussissait. [p. 161]
Ce procédé stylistique, qui attribue les attitudes et
sensations d’une population à la ville qu’elle habite, m’a semblé correspondre
dans ce roman-ci à un réflexe récurrent dans le récit : la recherche d’un
coupable pour expliquer ses propres échecs. La plupart des personnages, et en
particulier le narrateur, refuse l’introspection et la reconnaissance de ses
responsabilités dans les évènements qui les touchent, comme la guerre d’Algérie
qui ne cesse de gronder à l’arrière-plan et éclabousse de temps à autre la
quiétude insouciante de Río Salado. Pris entre deux cultures – celle, arabe,
héritée de son père, et celle construite avec ses amis et sa famille adoptive,
son oncle et sa tante –, le narrateur refuse de choisir entre les deux camps
qui s’affrontent, accusant l’un ou l’autre, plutôt que de chercher en lui les
raisons de son inertie. J’ai cru plusieurs fois que ce personnage basculerait d’un
côté ou de l’autre, avec d’autant plus de fanatisme qu’il se battrait contre
une part de lui-même, comme d’autres personnages de Khadra, mais Younes/Jonas
refuse obstinément d’entendre les questions qui se posent en lui.
Cette incapacité à choisir n’a pas seulement pour effet de
mettre à l’écart le conflit qui déchire son pays et deux de ses peuples, mais
touche également à la vie amoureuse du narrateur. C’est malheureusement là que j’ai
eu le sentiment que le récit tombait dans quelques excès. À trop vouloir
ménager les autres, Younes/Jonas reste indécis, inerte et muet, incapable de
réagir à la chance qu’il aurait dû saisir : les manifestations de cette
indécision m’ont semblé trop fortes et trop récurrentes dès que le personnage
se trouve en face de l’ensorcelante Emilie. Les très belles sentences sur l’amour
proférées par l’oncle sont trop adoucies par le côté mièvre et « à l’eau de
rose » des actes de son neveu.
Mes retrouvailles littéraires avec Yasmina Khadra furent
donc moins idylliques que je ne l’espérais et se teintent d’une légère
déception, mais je ne compte pas rester sur cette note douce-amère. L’Olympe des infortunes m’attend encore…
[Yasmina Khadra, Ce
que le jour doit à la nuit, Paris, Pocket, 2009.]
Du même auteur :
Ton avis remarquable (vraiment) marque parfaitement la dualité qui s'opère chez le héros et les personnages qui l'entourent. Tu as une très belle écriture. Bises
RépondreSupprimerMerci de me rassurer et pour ce merveilleux compliment ! J'ai eu du mal à écrire cet avis... Tu as raison, nos avis se complètent finalement, avec nos focalisations respectives sur la petite et la grande histoire. Bises.
SupprimerJ'ai lu L'imposture des mots de cet auteur mais je n'avais pas encore ce blog donc pas de chronique. Par contre ce n'est pas forcément par celui-là que j'aurais du commencer car il y parle de certains héros de ces romans, donc bon.. mais j'ai beaucoup aimé et j'ai beaucoup de ces livre dans ma PAL, qu'il faut que je lise. On pourra se faire une LC pour un peu plus tard si tu veux :) bon dimanche !
RépondreSupprimerJe ne connais pas cet ouvrage-là, ça devait être intéressant, si on connaît bien son œuvre. J'ai vu ses livres dans ta PAL, j'espère qu'ils te plairont ! Ce roman-ci est vraiment ma première déception avec cet auteur, je serais ravie de le retrouver lors d'une LC (mais plus tard, oui !)
SupprimerBon dimanche et merci pour ton passage.
J'avais beaucoup aimé ce roman et je n'ai pas été dérangée par l'histoire d'amour (en tout cas, je ne m'en souviens plus !!)
RépondreSupprimerJ'ai été lire ton avis, nous avions lu les mêmes romans avant de lire celui-ci, mais j'ai préféré les précédents. Je crois que la différence vient de notre sentiment vis-à-vis du héros: son indécision ne te le rendait pas antipathique, contrairement à moi. Du même coup, cette indécision qui m'agaçait a entaché l'histoire d'amour rendue impossible uniquement à cause de ce premier symptôme.
SupprimerUn très beau titre mais avec ce qui dis sur la mièvrie, je pense que je vais passer mon chemin
RépondreSupprimerUn beau titre, oui, mais ce n'est pas celui que je conseillerais de l'auteur. Pour le moment, je reste sur la trilogie du grand malentendu, très intéressante et bien écrite.
SupprimerJ'ai Les Hirondelles de Kaboul dans ma PAL. je crois que je vais plutôt me tourner vers ce titre que tu avait bien aimé il me semble.
SupprimerC'est même mon préféré de la trilogie (il est plus centré sur les femmes) ;)
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