Cette trilogie de Yasmina Khadra aborde le sujet du conflit entre Orient et Occident et le malentendu qui le fonde, à travers différents regards. Chacun des trois livres est centré sur l’une des facettes de cette opposition : la politique des talibans en Afghanistan dans Les hirondelles de Kaboul, le conflit israélo-palestinien dans L’attentat et la guerre en Irak dans Les sirènes de Bagdad. Cette unicité thématique n’empêche pas les trois tomes d’avoir leur autonomie : ils peuvent être lus dans l’ordre de son choix, tout comme il n’y a aucune obligation narrative à les lire tous. Je les présente ici personnellement dans l’ordre chronologique de ma lecture.
L’attentat
(lu le 10 août 2011)
Présentation de l’éditeur :
Dans un restaurant de Tel Aviv, une jeune femme se fait exploser au milieu de dizaines de clients. À l'hôpital, le docteur Amine, chirurgien israélien d'origine arabe, opère à la chaîne les survivants de l'attentat. Dans la nuit qui suit le carnage, on le rappelle d'urgence pour examiner le corps déchiqueté de la kamikaze. Le sol se dérobe alors sous ses pieds : il s'agit de sa propre femme.
Comment admettre l'impossible, comprendre l'inimaginable, découvrir qu'on a partagé, des années durant, la vie et l'intimité d'une personne dont on ignorait l'essentiel ? Pour savoir, il faut entrer dans la haine, le sang et le combat désespéré du peuple palestinien...
Mon avis :
Au premier abord, ce n’est pas du tout un livre qui me tentait : le thème surtout ne m’attirait guère plus que ça. Finalement, à force de voir les si bonnes notes que mes amis lui attribuaient sur Goodreads, quand l’un d’eux me l’a conseillé dans le cadre d’un marathon de lecture ABC, j’ai cédé. A présent, je sais que j’aurais manqué un grand roman si je m’étais obstinée dans mon refus de cette œuvre.
Yasmina Khadra y aborde le sujet brûlant du conflit israélo-palestinien du point de vue d’un palestinien naturalisé israélien, chirurgien qui se tient à l’écart des guerres qui déchirent son peuple. C’est pour cette raison qu’il ne comprendra pas lorsque sa femme, kamikaze, se fera exploser dans un restaurant. Commence alors pour lui un long cheminement initiatique à la recherche de la vérité et de la compréhension du geste de celle qui partageait, croyait-il, sa vie et sa vision de celle-ci. Face à toutes les personnes qu’il rencontrera lors de ce voyage, il est obligé de reconsidérer ce qu’il croyait savoir et être juste, et il en est de même pour le lecteur que l’auteur pousse à réfléchir par le biais de ce roman. La confrontation des opinions se fait, en apparence, sous forme d’un dialogue, mais on remarque assez rapidement qu’il s’agit plutôt de monologues : chacun reste sur ses positions sans véritablement comprendre celles de l’autre. Cela pourrait être dommage, mais c’est surtout une excellente stratégie de la part de l’auteur : il expose la situation, laissant le lecteur libre de constituer son propre avis.
L’écriture de Yasmina Khadra est fluide, sobre et efficace, avec un bon sens de la métaphore.
C’est suite à la lecture de ce roman que j’ai eu envie d’en lire d’autres de cet auteur, notamment ceux de sa trilogie.
Le début du roman :
Je ne me souviens pas d’avoir entendu de déflagration. Un sifflement peut-être, comme le crissement d’un tissu que l’on déchire, mais je n’en suis pas sûr. Mon attention était détournée par cette sorte de divinité autour de laquelle essaimait une meute d’ouailles alors que sa garde prétorienne tentait de lui frayer un passage jusqu’à son véhicule. « Laissez passer, s’il vous plaît. S’il vous plaît, écartez-vous. » Les fidèles se donnaient du coude pour voir le cheikh de plus près, effleurer un pan de son kamis. […] Puis plus rien. Quelque chose a zébré le ciel et fulguré au milieu de la chaussée, semblable à un éclair ; son onde de choc m’a atteint de plein fouet, disloquant l’attroupement qui me retenait captif de sa frénésie. En une fraction de seconde, le ciel s’est effondré, et la rue, un moment engrossée de ferveur, s’est retrouvée sens dessus dessous.
[KHADRA Yasmina, L’attentat, Paris, éd. Julliard, 2011, coll. Pocket, pp. 7-8.]
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Les hirondelles de Kaboul
(lu le 23 août 2011)
Présentation de l'éditeur :
Dans les ruines brûlantes de la cité millénaire de Kaboul, la mort rôde, un turban noir autour du crâne. Ici, une lapidation de femme, là un stade rempli pour des exécutions publiques. Les Taliban veillent. La joie et le rire sont devenus suspects. Atiq, le courageux moudjahid reconverti en geôlier, traîne sa peine. Le goût de vivre a également abandonné Mohsen, qui rêvait de modernité. Son épouse Zunaira, avocate, plus belle que le ciel, est désormais condamnée à l'obscurité grillagée du tchadri. Alors Kaboul, que la folie guette, n'a plus d'autres histoires à offrir que des tragédies. Quel espoir est-il permis ? Le printemps des hirondelles semble bien loin encore...
Dans les ruines brûlantes de la cité millénaire de Kaboul, la mort rôde, un turban noir autour du crâne. Ici, une lapidation de femme, là un stade rempli pour des exécutions publiques. Les Taliban veillent. La joie et le rire sont devenus suspects. Atiq, le courageux moudjahid reconverti en geôlier, traîne sa peine. Le goût de vivre a également abandonné Mohsen, qui rêvait de modernité. Son épouse Zunaira, avocate, plus belle que le ciel, est désormais condamnée à l'obscurité grillagée du tchadri. Alors Kaboul, que la folie guette, n'a plus d'autres histoires à offrir que des tragédies. Quel espoir est-il permis ? Le printemps des hirondelles semble bien loin encore...
Mon avis :
Après Israël et la Palestine, c’est en Afghanistan que je me suis laissé emmener par Yasmina Khadra. L’action se déroule entièrement à Kaboul, ville autrefois florissante, mais qui dépérit lentement, de même que ses habitants, depuis qu’elle est sous le contrôle des talibans.
Dès les premières pages, et dans l’ensemble du livre, l’auteur sait installer son ambiance et m’y plonger par des descriptions habiles, magnifiques et terribles. Sobriété et bon sens de la métaphore caractérisent son écriture que je trouve particulièrement agréable à lire, même si les évènements relatés sont assez durs. Dans ce livre-ci, il s’agit du quotidien des habitants de Kaboul, notamment des femmes. Obligées de sortir couvertes d’un tchadri, elles sont niées, déshumanisées et désindividualisées : sous ce voile intégral, nulle ne peut être vue, ni reconnue. Leur identité et leur visage leur sont retirés et refusés. C’est une situation qui m’a révoltée et que je connaissais assez mal. Encore une fois, Yasmina Khadra montre la réalité telle que vécue dans ces pays d’Orient.
Il le fait cette fois par une intrigue mettant en scène, principalement, deux couples qui se déchirent, victimes de ce monde qu’ils ne reconnaissent plus et qui les avilit chaque jour un peu plus. Chacun tente de garder la tête haute, à sa manière, ou sombre peu à peu dans la folie. Les uns profitent du système, comme Qassim ou Atiq, bien que ce dernier se sente mal dans son rôle de geôlier, tandis que d’autres le subissent, comme Mohsen, ce qui suscite la colère de son épouse, Zunaira. Aucun personnage ne reste véritablement immobile tout au long du récit, tous basculent à un moment ou à un autre, ce qui provoque diverses réactions et conséquences : tout comme dans L’attentat, Yasmina Khadra présente plusieurs discours, refusant de se limiter à un seul et laissant le lecteur à ses réflexions.
Le début du roman :
Au diable vauvert, une tornade déploie sa robe à falbalas dans la danse grand-guignolesque d’une sorcière en transe ; son hystérie ne parvient même pas à épousseter les deux palmiers calcifiés dressés dans le ciel comme les bras d’un supplicié. Une chaleur caniculaire a résorbé les hypothétiques bouffées d’air que la nuit, dans la débâcle de sa retraite, avait omis d’emporter. […] À des lieues à la ronde, hormis les quelques sentinelles tapies dans leurs miradors rudimentaires, pas âme qui vive. Un silence mortel accompagne la déréliction à perte de vue.
[KHADRA Yasmina, Les hirondelles de Kaboul, Paris, éd. Julliard, 2004, coll. Pocket, p. 7.]
Un passage qui m’a particulièrement plu :
La musique est le véritable souffle de la vie. On mange pour ne pas mourir de faim. On chante pour s’entendre vivre.
[KHADRA Yasmina, Les hirondelles de Kaboul, Paris, éd. Julliard, 2004, coll. Pocket, p. 66.]
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Les sirènes de Bagdad
(lu le 12 septembre 2011)
Présentation de l'éditeur :
Kafr Karam. Un petit village aux confins du désert irakien. On y débat devant la télévision, et surtout on s'y ennuie, on attend, loin de la guerre que viennent de déclencher les Occidentaux et qui embrase le reste du pays. Mais le conflit, avec son lot de brutalités, d'incompréhensions et de bavures tragiques va finir par rattraper cette région où la foi, la tradition et l'honneur ne sont pas des mots vides de sens. Et quand une nouvelle humiliation vient profaner ce qu'un Bédouin a de plus sacré, alors s'ouvre le temps de la colère et de la riposte. Une vengeance terrible, sans merci, car désormais seul le sang pourra laver ce qui a été souillé...
Mon avis :
Dans le cadre de cette trilogie et de ce projet littéraire, ce livre-ci me semble le plus abouti des trois (bien que mon préféré soit plutôt Les hirondelles de Kaboul pour le style et le sujet abordé). Le malentendu qui oppose Orient et Occident y est abordé plus explicitement que jamais et est même nommé à plusieurs reprises. En effet, les Irakiens dont le territoire est envahi ne sont pas seulement en colère contre les Américains, mais contre l’ensemble de l’Occident qui les rabaisse et a perdu ses valeurs au profit de l’argent. La haine les aveugle, et certains en viennent à détester le monde entier, oubliant que tous ne sont pas responsables de leur malheur et s’y sont opposés. Malgré tout, d’autres proposent d’autres discours, plus pacifistes. Encore une fois, Khadra multiplie les points de vue et les opinions, sans en choisir vraiment une, et laisse le lecteur face à toutes ces voix discordantes.
Celle qui raconte le récit est à la première personne du singulier : il s’agit d’un personnage que je rapprocherais plutôt de ceux des Hirondelles de Kaboul que de celui de L’attentat. Passif et terré dans son village, jusque-là épargné par la guerre et les combats, il changera d’attitude et se révoltera après l’humiliation « de trop », la perte de son honneur qu’il se doit de venger dans le sang. Il part alors à Bagdad où il espère agir, puis à Beyrouth.
Le début du roman :
Beyrouth retrouve sa nuit et s’en voile la face. Si les émeutes de la ville ne l’ont pas éveillée à elle-même, c’est la preuve qu’elle dort en marchant. Dans la tradition ancestrale, on ne dérange pas un somnambule, pas même lorsqu’il court à sa perte.Je l’imaginais différemment, arabe et fière de l’être. Je me suis trompé. Ce n’est qu’une ville indéterminable, plus proche de ses fantasmes que de son histoire, tricheuse et volage, décevante comme une farce.
[KHADRA Yasmina, Les sirènes de Bagdad, Paris, éd. Julliard, 2006, coll. Pocket, p. 7.]
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Mon article sur Les hirondelles de Kaboul est également publié sur le blog Passion Bouquins. S'y trouvent aussi une critique de L'attentat (par Hervé Weill) et une autre des Sirènes de Bagdad (par Jean-Luc).
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Du même auteur :
Bonjour, tu parles magnifiquement de Khadra et de ces trois livres. Je vois que tu as aimé alors si tu n'as pas lu "les anneaux du seigneur" et "A qui rêvent les loups" je te les conseille. Ce sont de petits livres mais très très forts émotionnellement, sur l'Algérie mais aussi sur ces quidam que le chômage, la guerre (et la vie !) transforment en opportunistes violents et aveugles. La métamorphose est très bien amenée.
RépondreSupprimerMerci beaucoup!
RépondreSupprimerJe n'ai pas encore lu ces titres (il me reste L'olympe des infortunes et Ce que le jour doit à la nuit dans ma PAL), je les ajoute à ma LAL : je sens que mon portefeuille va encore crier au supplice pendant mon prochain passage à la librairie...